Marseille, la fièvre du 3ème Tour

La Salle du Conseil Municipal à Marseille


Marseille n'est jamais un vieux port tranquille, on s'y "engatse" aussi vite qu'on s'y "esgatse". Mais c'est comme cela que la cité rebelle a toujours existé face aux vélléités absolutistes du pouvoir central. Dans cette ville fortement contrastée, aussi bouillante l’été que glaciale lorsqu’elle est balayée par le Mistral d’hiver, les esprits sont chauffés à blanc à la veille de l’élection de son nouveau maire. 
Le fameux système PLM qui découpe la ville en secteurs n’ayant permis à aucune des forces en présence d’obtenir la majorité absolue, celle-ci s’est transformée en un véritable ring politique dans l’attente du coup de gong final qui désignera samedi le vainqueur.

Michèle Rubirola
Qui eut parié un Euro sur elle il y a 6 mois ?
A gauche, le Printemps Marseillais, avec pour tête de liste Michèle Rubirola, 63 ans, médecin. Inconnue il y a encore quelques mois, elle a créé la surprise. Elle bénéficie d’un charisme qui tient surtout au véritable bain de jouvence auquel aspire la cité phocéenne après l’interminable fin de règne de Jean-Claude Gaudin.

A droite, les Républicains qui, sous le label Une Volonté pour Marseille, revendiquent à la fois l’héritage de leur mentor octogénaire tout en affichant le désir de réveiller le ville sous respirateur depuis son dernier mandat de maire. En tête de liste, la présidente de la Métropole d'Aix-Marseille Martine Vassal a fait ses armes dans le 8ème arrondissement en qualité d'adjointe de Dominique Tian, avant que celui-ci ne passe à la trappe dans une affaire de blanchiment de fraude fiscale. Tiens ! la fraude ? C’est justement ce qui a pourri le second tour des municipales avec cette histoire de fausses procurations dans le 12ème arrondissement. Le temps passe mais en politique, à Marseille, les vieilles recettes demeurent. Comme un parfum de bouillabaisse!

De gauche à droite : Guy Teissier, Lionel Royer-Perreaut, Martine Vassal, 
David Galtier et Valérie Boyer 
Qui aurait parier 1 Euro sur une défaite il y 6 mois 
Au centre, rien ou presque avec le maintien autant illusoire que stratégique d’Yvon Berland pour la République en Marche dans les 6-8èmes arrondissements. N’oublions pas non plus Bruno Gilles, un vétéran de la bande à Gaudin surtout animé par la haine qu’il voue à Martine Vassal depuis qu’elle a été adoubée à sa place par le maire sortant.

Dans les quartiers Nord, le Rassemblement National qui tenait la Mairie du 13-14 depuis 6 ans a été remercié même s’il conserve une poignée d’élus susceptibles de faire pencher la balance lors de l’élection du prochain maire, une hypothèse cependant peu vraisemblable. Soulignons au passage que la liste des Républicains menée par David Galtier y a fait chuter la liste Lepéniste au second tour en bonne partie grâce au report des voix de gauche. Imaginons que le Printemps Marseillais se soit maintenu comme l'aurorisait son résultat du 1er tour, Michèle Rubirola aurait pu y avoir des élus et disposer dès le soir du second tour d'une majorité absolue.

Samia Ghali
L'âme vive des Quartiers Nord
Dans les 15-16ème arrondissement, la sénatrice Samia Ghali est passée grâce à un petit coup de pouce de LR sous la bannière de « Marseille avant-tout », le mouvement qu’elle a créé depuis son tonitruant départ du Parti Socialiste pour incompatibilité d'humeur avec Benoit Hamon. Cela fait trois ans qu'elle fait cavalière seule, bien à l'abri dans son fief. A-t-elle pour autant envie qu'il en soit toujours ainsi ?  

Etant donné que les élections municipales ont lieu à Marseille par secteur, comme c’est le cas à Paris et à Lyon, ce sont les conseillers d'arrondissement qui élisent le maire. Lorsqu’une majorité se distingue clairement, le choix est évident mais lorsque le nombre des élus se répartit entre plusieurs listes sans qu’aucune n’atteigne les 50%, les tractations vont bon train pour séduire les petits partis de manière à récupérer leurs voix.

En l’occurrence, parler de tractations est plutôt gentillet lorsqu’on imagine la guerre des egos et les calculs de marchands de tapis auxquels se livrent les deux favoris à la succession de Jean-Claude Gaudin.

La situation est donc la suivante :
Le Printemps Marseillais de Michèle Rubirola : 42 sièges
La liste Martine Vassal : 39 sièges
La liste Rassemblement National de Stéphane Ravier : 9 sièges
La liste Samia Ghali : 8 sièges
La liste Bruno Gilles : 3 sièges
Il est nécessaire pour être élu maire de disposer de 101 voix, faites vos jeux!

Martine Vassal a, dès dimanche soir, annoncé la couleur. Elle y croit toujours dur comme fer et rien ne l’empêchera, selon elle, de revêtir l’écharpe tricolore tant convoitée. Elle a déjà montré au travers de la campagne que tous les coups sont permis, l’affaire des procurations de l’EHPAD St Barnabé en étant l’illustration, mais pas seulement. Sans parler des chocolatines offertes à l’entrée de bureaux de vote en échange d’un bulletin LR. Elle a même carrément insulté Yvon Berland de La REM après qu’il se soit maintenu dans le 6-8, l’accusant d’être directement responsable de sa défaite dans un secteur qu'elle estime être sa chasse gardée. Peut-être ne parvient-elle toujours pas à comprendre que, bien que lassés de la politique mollassonne de Jean-Claude Gaudin, bon nombre de Marseillais lui pardonnaient sa façon de la raconter parce qu’il savait le faire en insistant sur l'accent chantant qui le caractérise, une marque de fabrique inscrite au patrimoine génétique de à sa ville. Or, cette identité appartient de plus en plus au passé et peut-être que, même dans le quartiers de l'obélisque, le Mistral y joue à présent l'air de dégagisme.
Que ce soit au Rouet, à St Giniez, à Bonneveine ou même à Montredon, l’accent se perd depuis que la jeunesse préfère au "fly" (1/2 51+ 1/2 H2O) de la Civette la Smithwick de chez O’Brady ou la Guinness du Red Lion.

Pour l’emporter, Michèle Rubirola doit compter sur les voix de Samia Ghali. La sénatrice emblématique des 15-16 fait durer le suspense (ce que l'on comprend après tant d'années d'un combat mené souvent en solitaire) mais son cœur oscille toujours fortement à gauche et il est inenvisageable une seule seconde que les 7 conseillers qui ont été élus avec elle se rangent du côté des Républicains.

42 + 8 = 50. Il manquera encore une voix au Printemps Marseillais. Excluons le Rassemblement National qui pourrait jouer les trouble-fête mais une telle éventualité est plus qu'improbable. Même Martine Vassal n’osera se lancer dans une alliance avec Stéphane Ravier sans voir imploser sa propre formation. 

Reste l’énigme Bruno Gilles. D’après certains, il a déclaré qu’il n’était pas question une seconde qu’il vote pour Martine Vassal mais qu’il pourrait, en revanche, se laisser séduire par une autre candidature émanant de son groupe. Ira-t-il jusqu'au bout de sa logique dissidente ou rejoindra-t-il sa famille politique?

Dans ce contexte où trop de nerfs sont à vif, pourquoi ne pas sortir un lapin du chapeau, sait-on jamais. Disons que quelqu'un de préférence assez consensuel, suffisamment discret pour n'avoir avoir pas trop des ennemis serait une bonne alternative pour les amis de Martine Vassal. Guy Teissier, l'ancien maire des 9-10, aujourd'hui député, a l'expérience lui permettant de tenir ce rôle de joker indisepnsable si LR veut encore y croire. S'il rallie les 3 voix de Bruno Gilles, la droite peut prétendre l'emporter au privilège de l'âge car à 42 voix de part et d'autre, c'est l'aîné des deux postulants qui endosserait l'habit de maire. Rappelons que Guy Tessier a 75 ans tandis que Michèle Rubirola est sa cadette de 12 ans. Si les choses se passent ainsi, l'arbitrage reviendra à Samia Ghali. Pour elle qui ne cache pas ses points d'accord avec la France Insoumise, sa neutralité obstinée risquerait bien de passer pour une trahison auprès de ses anciens compagnons de route. Mais le moins que l'on puisse dire est qu'elle se fait prier. Dernier point et non des moindres, Stéphane Ravier et ses élus du Rassemblement National pourraient très bien jouer la surprise de dernière minute en se ralliant Guy Teissier, connu pour son positionnement d'ordinaire très à droite. De la bouillabaisse, on passerait alors à la tambouille et là, on n'imagine même pas les dégâts. On peut dans ce cas imaginer que Lisette Narducci, élue du 2-3 qui s'est alliée avec Bruno Gilles préfère à l'ultime seconde retrouver sa sensibilité de gauche, voire même, au point d'ébullition où on en est, assister à la candidature surprise d'un troisième larron. 

Plus que jamais, le suspense est insoutenable.
Et donc, rendez-vous samedi à l’Hôtel de Ville de Marseille, salle du conseil. 

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