Présidentielle Américaine - et s'il était battu?



Dans mon billet du 23 avril 2019 titré « 2020 – Will America be back again ? », j’annonçais que Joe Biden serait le prochain candidat démocrate à l’élection présidentielle concluant par « Alors croisons les doigts et reprenons tous en chœur « Run Joe Run ».
Deux mois plus tard, dans mon billet du 23 juin 2019 titré « USA 2020 – Trump sur orbite », j’évoquais l’étonnante Trumpmania qui s’était, en France, emparée de bon nombre de médias, tombés sous le charme du locataire atypique de la Maison Blanche. Ils n’avaient alors pas assez de mots pour louer l’insolente réussite économique des Etats-Unis et la baisse stupéfiante du chômage dans le pays. Ils étaient admiratifs de ses méthodes fondées sur le rapport de force, louant notamment sa détermination face à l'impérialisme chinois. On lui pardonnait, par voie de conséquence, ses tweets rédhibitoires et le peu de considération qu’il avait pour ses alliés. 

Tandis qu’en France, les Gilets Jaunes n’en finissaient plus de de raviver, au fil des week-end, les maux existentiels de notre pays, usé par les dysfonctionnements de ses services publics autant que par l’impéritie de ses dirigeants, Donald Trump passait pour un héros digne des Studios Marvel. On se souvient qu’Eric Brunet, polémiste bien connu des auditeurs d’RMC avait même, lors d’une de ses émissions, affirmé qu’il ne faisait aucun doute que Donald Trump serait réélu haut la main, faisant d’ailleurs fi de certains sondages outre-Atlantique qui le voyaient pourtant en difficulté face à la plupart des prétendants à l’investiture démocrate. 
De ce côté-ci de l’océan, on se consolait en se disant qu’Hilary Clinton aurait assurément fait moins bien, s'excusant presque de s’être trompé sur Donald Trump. Ses résultats économiques spectaculaires autant que les démonstrations tapageuses de ses partisans portaient à faire croire que tout le pays faisait désormais corps avec son président.   


Las, voyez comme en peu d’espace la belle étoile qui faisait tant briller la présidence américaine s’est mise à vaciller. Que s’est-il donc passé en quelques mois pour que le triomphalisme à tout crin affiché par Donald Trump fasse place au doute. C’est comme s’il s’était lui-même laissé piéger face à l’imprévisibilité du temps qui passe. Trop systématique, redondant, le discours de Donald Trump a perdu sa crédibilité à la veille d’une campagne qui s’annonçait au départ comme une formalité.

L’ivresse de la réussite pousse souvent à commettre des erreurs mais la peur de perdre est aussi mauvaise conseillère. Nous en sommes d'évidence arrivés là aujourd’hui.

Ces sondages qui présageaient dès juin 2019 une éventuele défaite de Trump aux élections de novembre 2020 avaient bien constitué un premier avertissement sans frais, même si l’incrédulité était de mise, à l’époque. Pour satisfaire la galerie et sûr de son infaillible instinct, le président avait alors vertement critiqué les sondeurs leur reprochant une certaine malhonnêteté dans les estimations. Or, cette réaction destinée à contenter sa trépidante base électorale ne pouvait cependant masquer la réalité des chiffres.

Il ne lui fallut cependant pas longtemps pour comprendre que sa réélection serait en fait loin d’être acquise. Il jouissait bien sûr d’une confortable popularité auprès de certaines catégories de citoyens américains, gens souvent motivés par la crainte d'un déclassement, regroupant à la fois les fermiers du Midwest traditionnellement acquis aux Républicains par rejet viscéral des Démocrates trop bourgeois tout autant que les cols bleus du triste Rust Belt, cette diagonale du vide industriel du Nord-Est confronté depuis des années à la fermeture des usines. Mais cette base électorale solide, pour ne pas dire radicalisée ne suffisait pas, à elle seule, à lui garantir un second mandat à la Maison Blanche.

En 2016, il avait bénéficié d’un coup de main venu de Moscou lorsque que le Kremlin avait compris qu’en promettant s’il était élu que les Etats-Unis cesseraient d'être les gendarmes du monde, laissant la place à la Russie. C’est en partie ce qui s’est passé.

« Make America Great Again » était le slogan sur lequel Donald Trump avait bâti sa campagne, résonnant comme un nouvel espoir pour un nombre important d’Américains de souche, persuadés d’avoir été depuis trop longtemps méprisés, voire floués par l’Establishment, ces élites hautaines qui siègent à Washington, à l’abri des dures réalités de la vie.
Mais plus encore, il est ressorti de la victoire inattendue de Donald Trump qu’elle représentait d'abord la revanche du « Blanc » à qui revenait de droit le privilège d'avoir bâti les Etats-Unis sur le « Noir » qui le lui avait volé durant les huit années d'Obama.
« Rendre à l’Amérique sa Grandeur », proclamait Donald Trump en 2016. La Grandeur, certes, mais qu’entendait-il par là ? Quand les Etats-Unis avaient-ils été ce grand pays qu’il n’était plus. Quel était cette histoire avec laquelle voulait renouer le candidat. Etait-ce celle de la Doctrine de Monroe, de la Conquête de l’Ouest, de la Guerre de Sécession, du Klu Klux Klan, de la Prohibition, des Raisins de la Colère, de la Grande Dépression,  du Maccartysme, de la Guerre du Viet-Nam, de la lutte pour les Droits Civiques ou encore du fiasco irakien? En fait, rien de tout cela. La Grandeur de l’Amérique est en premier lieu une abstraction à la mesure de son rêve, cet American Dream qui commence avec la City on The Hill des Puritains du Mayflower et se nourrit inlassablement du mythe de la Terre Promise. Les discours de Donald Trump ont de ce fait acquis une dimension quasi mystique faisant des électeurs républicains plus des disciples que de simples militants.

Alors qu’en 2019, le Président américain semblait parvenu au pinacle, certains sondages s’obstinaient, en revanche, à contester la réélection triomphale qui lui était prédite. Malgré tous leurs défauts, malgré les surnoms disgracieux dont les avait affublé leur Super-Président, ces diables de Démocrates étaient toujours là. Trump raillait devant les caméras les sondages qui le mettaient en difficulté mais pour le patron du Bureau Ovale, ceux-ci constituaient toutefois une ombre au tableau.

Qui allait remporter l’investiture Démocrate ? De toute évidence, Joe Biden paraissait le mieux placé. Si Donald Trump lui laissait le champ libre, il ne pouvait être exclu qu’il l’emporte, la pire chose qui puisse arriver. La stratégie était donc claire, fouiller dans sa vie privée et trouver la faille. L’affaire a commencé avec le président ukrainien. Sachant que le fils de Joe Biden avait eu des intérêts dans ce pays peu respectueux des règles en matière économique, il eût été judicieux de le compromettre dans quelque scandale de corruption. Avoir l’aval du Président Ukrainien fraîchement élu, Volodymyr Zelenski, un novice en politique serait un jeu d’enfant pour conduire une enquête à charge. Du donnant donnant. Trump marchanda une aide militaire substantielle des Etats-Unis en échange de renseignements compromettants sur Hunter Biden et ses liens suspects avec une compagnie gazière.

L’affaire datait de quelques années mais peu importait, le but étant de créer un véritable chaos médiatique avec pour corollaire la disgrâce de Joe Biden. Le président ukrainien n’a cependant pas mordu à l’hameçon comme espéré, moins ingénu qu’il aurait pu paraître.
Il a eu raison car, comme souvent, ce genre de négociations en sous-main est assortie de fuites. On connait la suite:  une procédure d’impeachment qui n’a pas abouti mais a servi de coup de semonce. Donald Trump s’en est bien sorti grâce à la solidarité de ses troupes, sauf que le ver s’est installé dans le fruit.

Passons sur le Covid-19. Cette crise à laquelle nul n’était préparé a été gérée de façon souvent erratique entre déni et excès de précaution mais même si bon nombre de gouvernements n’ont pas toujours été à la hauteur, il faudra du recul pour en tirer de vrais enseignements, ce qui n’est pas encore le cas.

Toujours convaincu que Joe Biden allait être pour lui l’adversaire de tous les dangers, Donald Trump n'a pas hésité à s'égarer sur des voies dangereuses. C’est ce que relate, dans son livre, son ex-conseiller John Bolton, dont on peut regretter qu’il ait attendu d’avoir été « viré » pour décrire l’univers impitoyable qui règne à la Maison Blanche avec un nouveau JR cravaté de rouge, encore plus cynique et amoral que l’original.
Quoique traité de va-t-en guerre par Donald Trump, et même si le personnage donne l’impression d’avoir été par flagornerie complice de ce dernier, John Bolton révèle l’inquiétante duplicité du Président face à la Chine. Sans cesse obsédé par la crainte de devoir abandonner sa résidence de Pennsylvania Avenue en janvier 2021, c’est au numéro 1 chinois Xi-Ji-Ping qu’il a discrètement demandé de l’aide. Si les faits sont avérés, on ne peut y voir là qu’une véritable trahison envers son propre pays.

Comment ose-t-on se lancer dans une guerre commerciale implacable avec l'Empire du Milieu tout en demandant son aide en coulisse. Souvent à la limite de franchir la ligne jaune, Donald Trump nous a habitué à mélanger le business et les enjeux nationaux mais il semble qu'il est allé trop loin en faisant de toute évidence passer ses intérêts personnels avant ceux de son pays. Xi-Ji-Ping ne se dépare jamais de son ineffable sourire et de son regard malicieux mais comment pourrait-il ne pas se réjouir de voir le Président des Etats-Unis lui-même remettre son sort entre ses mains, profitant au passage de l'occasion  pour monnayer son fort discret mais indispensable soutien en échange d'une légitimation implicite des camps de concentration dans lesquels le régime chinois détient des milliers d’Ouighours au mépris du droit international. Un vrai marché de dupes!


Nous en arrivons enfin au Rally, le dernier meeting du Président à Tulsa (Oklahoma), censé accueillir un million de personnes et qui s'est transformé en une pitoyable pantalonnade. C’est peut-être là, dans ce stade à moitié vide que Donald Trump a dû réaliser que la fin de la partie risquait de se solder par sa défaite.
Joué par une bande de minots fans de K-Pop (style électro-pop sud-coréen très chorégraphique où des boys bands androgynes partagent la vedette avec des pom-pom girls bands) et de l’application fun TikTok, très populaire chez les ados, il a constaté avec amertume autant que sidération que la déferlante attendu n’était qu’un joke. Il s’est fait berner, voilà tout. Le Président a fait « Pschittt ! » et la nouvelle a immédiatement fait le tour du pays. Mais il y a eu pire encore. Moins en verve que d'ordinaire, il a littéralement sabordé son intervention. La Grandeur de l’Amérique s’en est trouvée, d’un coup, réduite à néant après qu’il ait jugé bon d'expliquer en long et en large qu’il avait tout tremblant bu un verre d’eau à deux mains parce qu’il ne voulait surtout pas tâcher sa « belle » cravate de soie rouge, insistant sur le fait que l’eau marque la soie. Le public s’est rendu compte qu’il était venu assister à un one-man-show pathétique, un spectacle le moins que l’on puisse dire très rétrécissant pour celui qui voudrait « Keep America Great ».

Voilà pourquoi cette semaine, dans les couloirs de la Maison Blanche, l’atmosphère était à l’inquiétude. Et si finalement « Sleepy Joe » (le surnom que Donald Trump a attribué à Joe Biden) allait l’emporter. Celui-ci a su se tenir sagement à l’écart au moment du confinement, il a su manifester son empathie auprès de la famille de George Floyd, il a aussi su remettre Donald Trump à sa place lors de ses récents dérapages. Il semble que l’Amérique soit en train de vouloir tourner la page tandis que le ventre mou de l’électorat républicain commence à se lasser du trumpisme et de ses effets ravageurs sur une société déjà très fragmentée.

En favorisant l’élection de Trump, les Russes ont pu ravir à l’Amérique une place dominante sur la scène internationale. En favorisant la réélection de Donald Trump, la Chine profiterait de la désagrégation des alliances occidentales pour imposer sa suprématie commerciale sur le monde, une opportunité que l’élection de Joe Biden pourrait, en revanche, remettre en question.

Alors, Monsieur Brunet, vous votez toujours Trump le 4 novembre prochain ?

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